De la Préhistoire à l’Actuel :
Culture, Environnement et Anthropologie

PACEA UMR 5199

Communiqué : Dater Lascaux : un retour sous terre

Si l’étude des parois peintes et gravées, notamment renouvelée par Norbert Aujoulat au cours des années 1990, conduit à inscrire l’art de Lascaux dans une chronologie stylistique donnée, l’analyse des assemblages archéologiques semble, de son côté, nous conter une histoire sensiblement différente malgré les liens, suggérés de longue date, entre sols et parois.

Parallèlement à une réévaluation interdisciplinaire du registre archéologique de la grotte menée dans le cadre du projet LAsCO (2018-2020), de nouvelles datations 14C AMS, réalisées par le laboratoire ORAU d’Oxford à partir de plusieurs restes de faune exploités, permettent de renouveler significativement le cadre chronologique des occupations paléolithiques. Les résultats, publiés dans la revue Paleo, confirment les deux hypothèses posées en préalable de cette l’étude. Ils illustrent, d’abord, la remarquable synchronicité des différents ensembles analysés, déjà largement suggérée par la forte homogénéité typo-technologique des industries auxquelles les restes datés sont associés. Enfin, ces nouvelles données chronologiques se révèlent être en parfaite cohérence avec les hypothèses actuelles d’attribution de ces mêmes industries à une phase charnière entre les traditions culturelles du Badegoulien (23-21 mille ans avant le présent) et du Magdalénien (21-14 mille ans avant le présent). Les vestiges matériels abandonnés dans la grotte résulteraient en effet d’une (ou de plusieurs) occupation(s) située(s) quelque part entre 21,5 et 21 mille ans avant le présent. La fréquentation de la grotte est ainsi rajeunie de 1000 à 1500 ans par rapport aux âges obtenus à la fin des années 1990, âges sur lesquels une partie de la communauté scientifique s’appuie pour rattacher tout ou partie du dispositif pariétal de Lascaux au Solutréen supérieur (circa 24-23 mille ans avant le présent).

La simple évocation du toponyme Lascaux nous plonge dans un imaginaire peuplé de gigantesques taureaux, de chevaux renversés, d’animaux et de représentations énigmatiques fixés sur les parois d’une grotte périgourdine, fortuitement redécouverte au début de la Seconde Guerre mondiale. Les images qui se bousculent sont tout à la fois celles du récit quasi légendaire des jeunes découvreurs accompagnés du chien Robot, et celles des incroyables peintures et gravures que la cavité renferme et dont le sens ne cesse d’interroger l’œil et l’esprit contemporains. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’au-delà de ses parois peintes et gravées, la grotte de Lascaux abritait de riches assemblages archéologiques qui témoignent, un peu plus concrètement encore, du passage des femmes et des hommes – et sans doute des artistes – en ces lieux confinés. Résultant pour une grande part de ramassages effectués dans l’urgence par l’abbé André Glory mais aussi de fouilles limités menées dans le fameux « Puits », les vestiges matériels de Lascaux se composent d’outils et d’armes en silex et bois de cervidés, de restes d’animaux chassés et exploités, de divers colorants ou même encore de lampes destinées à guider les gestes techniques et symboliques accomplis par les groupes paléolithiques. Ces assemblages restent aujourd’hui inégalement connus, étudiés et valorisés.

En effet, à de rares et fameuses exceptions près, la grotte n’est guère pensée et interrogée dans sa globalité. Quarante ans après Lascaux Inconnu, remarquable travail interdisciplinaire dirigé par Arlette Leroi-Gourhan et Jacques Allain (1979) et plus de dix ans après la publication posthume de l’ouvrage inachevé de l’abbé André Glory, retranscrit et commenté par Brigitte et Gilles Delluc (2008), l’ensemble de ces matériaux fait aujourd’hui l’objet de nouvelles approches dans le cadre du projet LAsCO (Lascaux reconnu ? Contextualisation des sols paléolithiques de la cavité), programme collectif de recherche financé par la DRAC et le CRMH de la région Nouvelle Aquitaine. Porté par deux chercheurs du CNRS associés au laboratoire PACEA-UMR 5199 (M. Langlais et S. Ducasse) et réunissant une équipe pluridisciplinaire et interinstitutionnelle d’une trentaine de personnes issus de plusieurs laboratoires français, ce projet prend le parti de faire, un instant, abstraction des parois en pénétrant dans la grotte les yeux rivés au sol. Il vise à réinterroger Lascaux par ses objets, sans lesquels, malgré les destructions archéologiques dramatiques et irréversibles qui ont accompagné l’ouverture de la grotte au public, une compréhension dynamique de ce site archéologique reste délicate, voire impossible. Menées en parallèle du projet DEX_TER (Lascaux au cœur d’un réseau inédit à la fin du Pléniglaciaire ? coordination S. Ducasse et M. Langlais) financé par le LabEx des Sciences archéologiques de l’Université de Bordeaux (LaScArBx), l’ensemble de ces recherches vise in fine à réinscrire les assemblages de Lascaux au sein d’un espace-temps aujourd’hui en cours de redéfinition, enrichi par une série de (re-)découvertes faites ces vingt dernières années entre le Poitou et les contreforts pyrénéens.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le « temps de Lascaux » est aujourd’hui flottant, fuyant, multiple et contradictoire. Son art n’a jamais pu être directement daté, faute de charbon dans la composition des pigments utilisés par les peintres. Avec comme postulat l’existence d’une unité de temps liant sols et parois, les efforts se sont donc naturellement concentrés, dès les années 1950 et l’invention de la méthode de datation par le carbone 14C, sur les charbons de bois découverts en surface ou au sein de la couche archéologique. Verdict en première instance (1951-1975) : Lascaux est attribué à une phase ancienne du « Magdalénien », comme le suggèrent les caractéristiques typo-technologiques des équipements en silex, en os et en bois de cervidé abandonnés par les groupes. Une cinquantaine d’années plus tard, les progrès de la méthode permettant de dater des échantillons plus « sensibles » sur le plan patrimonial, de nouvelles datations sont réalisées, cette fois à partir d’objets manufacturés (éléments en bois de cervidé). Verdict en seconde instance (1998) : vieilli de près de 2000 ans, Lascaux est alors rattaché au Solutréen, comme le suggère d’ailleurs l’étude stylistique et technique du dispositif pariétal conjointement réalisée par Norbert Aujoulat. Le bilan réalisé vingt ans plus tard est embarrassant : des assemblages aux caractéristiques « magdaléniennes », un style pictural « solutréen », deux séries de dates contradictoires, elles-mêmes réalisées sur des matériaux différents (figure 1). Ainsi, l’interprétation de ces contradictions se heurte aujourd’hui à une série de questions et d’incertitudes archéologiques et méthodologiques : Quelle est la pertinence du postulat de synchronicité de l’ensemble ? Quelle valeur accorder à nos critères d’attribution culturelle ? Jusqu’à quel point peut-on tirer parti de la comparaison de datations réalisées à cinquante ans d’intervalle à partir d’échantillons et de méthodes distincts ? Etc.

C’est donc pour tenter de répondre à ces questions et de lever certaines incertitudes qu’un nouveau programme de datation a démarré en 2018, organisé en plusieurs phases. L’objectif, avant de pouvoir relever les yeux vers les parois, était de tester deux hypothèses mises en doute par les données radiométriques existantes : celle de l’homogénéité chronologique et culturelle des assemblages archéologiques, puis, le cas échéant, celle de leur attribution à une phase encore méconnue du Paléolithique ouest-européen, située à la charnière entre le Badegoulien (23-21 mille ans avant le présent) et le Magdalénien (21-14 mille ans avant le présent). En première phase, cinq restes de renne, espèce introduite et exploitée par les occupants de la grotte, ont été sélectionnés au sein des assemblages de la collection André Glory avec l’aide de Stéphane Madelaine, paléontologue au Musée National de Préhistoire des Eyzies-de-Tayac où les restes sont aujourd’hui conservés. De fait, moins « sensibles » que les pointes osseuses et moins « volatiles » que de minuscules charbons, ces vestiges présentaient par ailleurs l’avantage d’être documentés dans les principaux secteurs de la grotte (Diverticule axial, Passage, Nef et Puits). Une fois intégralement numérisés par Xavier Muth (société Get in Situ) par le biais des techniques photogrammétriques (techniques d’imagerie permettant une restitution 3D de l’objet, qu’elle soit virtuelle ou physique), chaque pièce a fait l’objet d’un prélèvement d’une masse comprise entre 1,3 et 2,4 g destiné à être daté par la méthode AMS du carbone 14 au laboratoire ORAU d’Oxford. Bien que l’état de conservation de l’échantillon issu du Passage ait compromis l’obtention d’un résultat, les quatre autres prélèvements ont livré des mesures remarquablement comparables d’un secteur à l’autre (figure 2). Ces mesures, publiées dans la revue Paleo, viennent confirmer les deux hypothèses testées : centrées autour de 17 600 BP en années non calibrées, c’est-à-dire entre 21,5 et 21 mille ans avant le présent, elles tendent à alimenter l’idée d’une synchronicité globale, tout en écartant l’hypothèse solutréenne proposée ces dernières années.

La seconde phase du programme aura pour objectif de réaliser de nouvelles datations à partir d’objets manufacturés en bois de cervidé, en bénéficiant pour cela d’avancées méthodologiques récentes qui permettent de réduire fortement l’invasivité des prélèvements nécessaires. Ces nouveaux tests permettront de rediscuter de la fiabilité des résultats obtenus à la fin des années 1990 qui, déjà discordants avec les caractéristiques typo-technologiques des pièces datées, paraissent aujourd’hui encore un peu plus isolées.

Quoi qu’il en soit, des sols aux parois, il n’y a qu’un pas que ces seules données radiométriques ne permettent pas encore de franchir. Mais les recherches collectives sur cette exceptionnelle archive paléolithique se poursuivent, en quête d’un Lascaux enfin pleinement « reconnu ».

Figure 1
Figure 1.
Figure 2.
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